Esprit du fleuve, fantôme du musée, créature mythique et légende urbaine…Voici une sélection de grands récits et de petits mystères qui animent le centre-ville de Lyon.
Le mythe du crocodile de l’Hôtel-Dieu
Au XVIIIe siècle, les eaux troubles du Rhône inquiètent les Lyonnais et les bateliers de passage dans la région. Les embarcations subissent des attaques inexpliquées. Les discussions vont bon train, faisant émerger des théories plus ou moins crédibles… Qui aurait cru que des témoignages allaient donner raison à l’une des suppositions les plus loufoques de l’année 1745 ? Un crocodile aurait été aperçu sous les arcades du pont de la Guillotière, anciennement appelé pont du Rhône. Le lien entre les attaques et la mystérieuse apparition est évident. La section est interdite à la navigation et la chasse au reptile est ouverte ! Mais la traque s’annonce difficile.
La légende ne nous dit pas comment l’animal est arrivé là. Mais, les contemporains du croco voyageur ont manifestement affaire à un animal seul, égaré, certainement déconcerté par cet environnement qui n’a rien à voir avec son habitat de prédilection. Affamé et hors de contrôle, il retourne les bateaux pour mieux croquer les malheureux passagers. Pire, le monstre attaque aussi les personnes qui se trouvent près du quai. Plusieurs lavandières auraient ainsi succombé aux attaques imprévisibles de la bête.
Les tentatives se multiplient pour mettre un terme à la terreur. Mais l’animal est trop agile et les armes à feu ne sont d’aucune utilité. À ce stade, il faut être fou, ou n’avoir plus rien à perdre pour affronter le monstre. C’est alors que deux hommes condamnés à la peine capitale concluent un marché avec les autorités. Ils s’engagent à risquer leur vie avant l’heure, avec la perspective d’être graciés s’ils réussissent à éliminer la créature. Pour mettre toutes les chances de leurs côtés, les deux condamnés décident de ruser.
La stratégie est simple, mais efficace. Ils vont tout d’abord aveugler l’animal avec une poignée de sable. Une fois le monstre désorienté, ils pourront s’approcher et utiliser des piques affûtées pour le transpercer. Le jour J, le plan se déroule comme prévu et les deux hommes livrent à l’assistance un combat épique. La dépouille du monstre est suspendue dans la chapelle du Saint-Esprit, puis à la coupole du dôme de l’Hôtel-Dieu, jusqu’à la rénovation de l’édifice. D’où le surnom de « crocodile de l’Hôtel-Dieu ».
Mâchecroute, le père du croco de l’Hôtel-Dieu ?
Le mythique crocodile de l’Hôtel-Dieu n’a rien de nouveau dans le paysage légendaire local. Ce récit est même largement inspiré d’un autre mythe, bien plus ancien : Mâchecroute. Le nom semble tiré d’une comptine pour enfant, mais le monstre aux allures de dragon est redouté de tous. Depuis le Moyen Âge, Mâchecroute fait la pluie et le beau temps sur les rives du Rhône.
C’est lui qui est responsable des crues infernales et des inondations dévastatrices emportant tout sur leur passage. Il prendrait aussi un malin plaisir à faire tomber les humains et les animaux dans le fleuve. Pas pour les manger, comme l’aurait fait le crocodile de l’Hôtel-Dieu, juste pour s’amuser avant de les rejeter vers la rive.
Certaines communes sont plus exposées que d’autres à la colère de Mâchecroute. La Guillotière est régulièrement victime des assauts de l’esprit du fleuve. En 1856, la rive gauche est une nouvelle fois durement éprouvée : 18 personnes perdent la vie à la Guillotière.
Cette fois-ci, le dragon du Rhône est allé trop loin. Après le drame, des décisions importantes seront prises. La loi de protection contre les crues impose la construction de nouvelles digues. Mâchecroute ne s’est plus manifesté depuis.
Lyon, histoire de la muse disparue du toit de l’Opéra
L’Opéra national de Lyon fait partie du patrimoine remarquable de la ville et a aussi sa place parmi les légendes urbaines françaises. Un détail de la façade alimente volontiers les conversations des Lyonnais autour de cette construction emblématique du centre-ville.
Sous la toiture moderne, on retrouve la façade d’origine avec ses muses sculptées. Chacune est l’allégorie d’un art : la musique, l’histoire, la comédie, la tragédie, la danse, la poésie, le chant nuptial, la rhétorique et l’astronomie. Cela fait 9, comme les 9 filles de Zeus.
Mais on n’en compte que 8 sur la façade de l’Opéra. C’est, Uranie, la déesse des arts célestes qui manque à l’appel. Oubli, erreur, malveillance de l’architecte… ? Comment expliquer cette absence ?
La réponse est bête et méchante : il n’y avait tout simplement pas assez de place pour une 9e muse. Ou, pour être exact, les canons du style classique ne permettaient pas que l’on puisse mettre en œuvre un nombre impair de colonnes et de statues ornementales. Tant pis pour Uranie.
Le fantôme du Musée des Beaux-Arts
L’histoire du site de l’actuel Musée des Beaux-Arts a été riche en rebondissements. L’intrigue qui nous intéresse ici se joue au XVIe siècle. La bâtisse est alors une abbaye, celle de Saint-Pierre-les-Nonnains.
Les moniales de l’abbaye sont issues de la haute noblesse et ont conservé un train de vie mondain qui détonne avec l’ordre religieux. Ce décalage et cette apparente légèreté des mœurs alimentent les rumeurs les plus folles. Les autorités religieuses locales et les habitants s’indignent, mais l’abbaye de Saint-Pierre est placée sous l’autorité directe du Pape. L’archevêque de Lyon, François II de Rohan, reste impuissant.
Alix de Tézieux fait partie de ces moniales indisciplinées qui tiennent tête à l’archevêque. L’équilibre s’inverse quand De Rohan parvient à remettre l’abbaye sous la coupe de l’archevêché. La réforme de 1517 est implacable, et les nonnes réfractaires sont expulsées. L’ordre semble revenu dans l’abbaye où les nouvelles arrivantes plus dociles sont majoritaires.
Mais, très vite, les nonnes se retrouvent confrontées à des phénomènes étranges : des bruits sordides, des apparitions effroyables… Ces événements terrifiants se produisent pendant la nuit, privant les jeunes nonnes de sommeil et les plongeant dans la terreur. Certaines seraient tombées malades de frayeur à la vue d’un démon.
L’abbaye de tous les scandales doit une nouvelle fois être secourue. Un exorcisme est programmé. La cérémonie a confirmé les doutes des anciennes moniales. L’entité démoniaque confie être l’âme torturée d’Alix de Tézieux en quête de rédemption. La légende raconte que les bruits de coups assourdissants entendus dans le réfectoire ont marqué la libération de l’esprit d’Alix.